Le mythe du jeu vidéo comme divertissement uniquement masculin est aujourd’hui plus que mis à mal, à l’heure où l’on sait que les femmes jouent autant aux jeux vidéo que les hommes. Cela veut-il pour autant dire que les jeux vidéo proposent une vision paritaire du monde ? Pas encore. Les stéréotypes de genre et l’absence de représentation sont encore présents au sein des titres les plus prisés de l’industrie. Explications.
Non, les hommes ne sont pas plus nombreux à jouer aux jeux vidéo : cette année, 18,3 millions de françaises ont allumé leurs consoles, ordinateur ou smartphone, soit 49% du total des joueurs (SELL, 2022). Non, les femmes ne jouent pas « moins » aux jeux vidéo en terme d’heures : elles représentent 47% des joueurs réguliers (contre 53% d’hommes), soit ceux jouant au moins une fois par semaine (cette proportion augmente même chez les plus jeunes car selon une enquête du CSA, 56% des femmes de 16 à 30 ans jouent aux jeux vidéo quotidiennement). Et enfin, non, les femmes ne jouent pas « seulement » à des jeux mobiles : si ces derniers restent majoritaires (87% des joueuses affirment utiliser leur smartphone), 75% des joueuses utilisent une console de salon, et 60% un ordinateur. Ces dernières années, les statistiques ont, une à une, démystifié les clichés liés aux pratiques du jeu vidéo des femmes : ces dernières jouent autant que les hommes, et à des jeux tout aussi diversifiés. Cela veut-il pour autant dire que les jeux vidéo offrent une représentation éthique des femmes et des personnages féminins variés ?
Pour les joueuses, cela n’est pas encore le cas. D’après le CSA, 79% des joueuses affirment que les personnages de jeu vidéo ne sont pas à l’image de l’ensemble des femmes. D’après un rapport du Geena Davis Institute, seulement 35% des femmes arrivent à s’identifier aux personnages féminins qu’elles croisent dans les jeux vidéo, et 48% trouvent que les jeux manquent de « personnages féminins forts ». Les produits proposés par l’industrie sont donc en décalage avec son marché, et les créateurs de jeux gagneraient donc, logiquement, à faire en sorte que leurs castings soient plus divers.
« 79% des joueuses affirment que les personnages de jeux vidéo ne sont pas à l’image de l’ensemble des femmes. »
Cette tendance a été adoptée ces dernières années : entre 2015 et 2020, on note une augmentation de 9% des personnages féminins dans les jeux vidéo. Cependant, la parité n’est pas encore atteinte. En analysant les 100 jeux vidéo les plus populaires entre 2017 et 2021, l’association Diamond Lobby note que seulement 27,7% des personnages de jeu vidéo sont des femmes, et 5,8% des personnes non-binaires (Diamond Lobby, 2021). En 2022, la même association analyse les 152 jeux ayant eu le plus de succès sortis au cours de l’année écoulée : la part de femmes y est cette fois de 39% (les personnes non-binaires n’apparaissent malheureusement pas cette fois dans l’étude). Une solide augmentation, mais qui montre tout de même la difficulté de l’industrie à établir des castings totalement paritaires (Diamond Lobby, 2022). L’étude de Diamond Lobby portant sur les jeux de 2017 à 2021 pointe même une tendance à effacer totalement les femmes du casting : 31,7% des jeux étudiés ont un cast exclusivement masculin, alors que seulement 5% ont un cast exclusivement féminin. On trouvait donc encore récemment, sur le marché, six fois plus de jeux entièrement masculins que de jeux entièrement féminins.
« Les hommes parlent en moyenne deux fois plus que les femmes dans les jeux vidéo. »
De plus, ce n’est pas parce que les femmes sont représentées en plus grand nombre dans les jeux qu’elles y sont mieux représentées. Un personnage féminin présent à l’écran peut encore incarner des stéréotypes de genre dégradants pour les femmes. Dans son rapport, le Geena Davis Institute démontre par exemple que les femmes ont dix fois plus de chance d’être montrées dans des vêtements « sexys » que les personnages masculins, et également dix fois plus de chance d’apparaître dans des situations de nudité. Cette statistique est ressentie par les joueuses derrière leurs écrans (62% d’entre elles trouvent que les personnages féminins sont trop sexualisés dans les jeux vidéo), et a même, dans certains cas, des conséquences bien réelles. En effet, 35% des femmes déclarent avoir moins confiance en elles à cause des corps féminins qu’elles voient dans les jeux vidéo. En dehors du problème de l’hyper-sexualisation, d’autres questions subsistent : que font les femmes à l’écran ? Que disent-elles ? Comment s’adresse-t-on à elle ? Pour apporter des éléments de réponse, une étude de l’Université de Glasgow (2023) a pris pour objet un aspect du jeu vidéo peu souvent étudié : les dialogues. Les chercheurs ont analysé les dialogues des 50 RPGs les plus connus des trente dernières années, et étudié environ 13 000 personnages et 6,2 millions de mots de dialogues. Le résultat est sans appel : les hommes parlent en moyenne deux fois plus que les femmes. Plus édifiant encore, seuls 3 jeux sur 50 contenaient 50% de dialogues énoncés par des personnages féminins (en moyenne, la part de dialogues laissés aux femmes est de 35,16%). Et quand les femmes parlent, elles perpétuent plus largement des stéréotypes de genre : elles sont plus susceptibles d’être polies, de s’excuser, de flirter, ou encore de s’adresser exclusivement à des personnages masculins plutôt qu’à d’autres femmes. L’étude pointe également du doigt l’absence quasi-totale de personnages non-binaires ou d’autres genre minorisés : seulement 30 apparitions sur 13,000 personnages étudiés, soit moitié moins que la proportion de personnes non-binaires au sein de la population britannique. Si l’étude pointe, elle aussi, des progrès au cours des 30 dernières années (la part de dialogue laissés aux femmes augmente de 6,3% tous les dix ans), celui-ci est encore en demi-teinte. En effet, si l’industrie continue sur le même rythme, il faudrait encore dix ans pour atteindre la parité.
“70% des joueurs, tout genre confondus, pensent qu’il est « important » ou « très important » que les jeux vidéo aient un cast divers en terme de genre, de race ou d’orientation sexuelle.”
Pour faire en sorte de mieux représenter leur audience, les studios doivent donc non seulement créer plus de personnages de genres minorisés, mais également s’extraire d’un certain nombre de clichés sexistes. Et les personnes de genre minorisé ne seraient pas les seules à approuver ce genre de changements. D’après le Geena Davis Institute, 70% des joueurs, tout genre confondus, pensent qu’il est « important » ou « très important » que les jeux vidéo aient un cast divers en termes de genre, de race ou d’orientation sexuelle. Penser la représentation comme une forme d’éthique de travail pourrait donc bénéficier au marché entier.
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