Jessica Rossier est une artiste suisse qui a trouvé sa place dans le jeu vidéo et le cinéma, après être passée par les Arts Décoratifs de Genève. Elle a fondé Wardenlight Studios avec son mari, Bastien Grivet, une entreprise dans la création d’art digital. Retour sur son parcours.
« On met en images tout ce qui ne peut pas être construit en réel »
Si Jessica n’aurait jamais rêvé atterrir dans le jeu vidéo, elle baigne dans l’art depuis son enfance : elle est « issue d’une famille d’artistes », avec un père graphiste et une mère dans le chant et la musique. Après avoir hésité avec la vente, elle se lance dans l’art « par hasard », en intégrant l’école des Arts Décoratifs de Genève. Mais l’école ne convient pas au style qu’elle souhaite développer : les étudiants apprennent un art minimaliste et carré, alors que Jessica est inspirée par l’extravagance du cinéma. La scission avec l’enseignement de l’école est totale quand Jessica découvre l’art digital grâce à la personne qui allait devenir son mari, Bastien Grivet. « Je n’avais aucune notion d’informatique, je savais à peine allumer un ordinateur… quand on m’a mise sur Photoshop, je ne savais absolument rien ! » Elle apprend de façon autodidacte, tout en ayant ses cours à côté. Dès qu’elle touche sa première tablette graphique, Jessica trouve la spécialité qui la passionne : l’art digital et le concept art. Une fois sortie des Arts Décoratifs, la jeune diplômée continue son apprentissage dans l’art digital, tout en faisant du graphisme et de la photographie pour payer ses études.
Maintenant, Jessica travaille avec son mari : après avoir travaillé deux mois au Canada, pour Warner Bros, ils ont co-fondé le studio Wardenlight à Montpellier, qui réalise des commandes dans le domaine de la création du jeu vidéo, mais aussi dans le cinéma. « Lorsqu’une production fait appel à nos services, c’est pour mettre en images un scénario, une idée ou un projet ; on invente les univers avec les éléments, les vaisseaux spatiaux ou encore les monstres. Tout ce qui ne peut être construit en réel, on le fait sur ordinateur. » Leur travail est donc rythmé en fonction des commandes des clients. Parmi les créations faites dans le jeu vidéo, Jessica a travaillé sur Call of Duty : Black Ops 3 : « on devait dessiner une carte futuriste sur Le Caire. On a dessiné son architecture avec des buildings, création qu’on a proposée à Activision. La société l’a validée et nous avons pu continuer sur les détails, puis sur la 2D après nouvelle validation… et ça s’est terminé sur un modèle 3D avec la texture et les lumières pour terminer la création ! » Ces dernières servent généralement à orienter l’équipe graphique de l’éditeur sur le style à adopter.
Pour le cinéma, c’est différent : les artistes doivent mettre en image ce qui doit devenir une cinématique pour un film. D’ailleurs, certains studios de jeux vidéo leur demandent la même chose pour leur bande-annonce. Cet avant-goût doit aider le client à vendre son projet, en présentant un dossier attirant. Mais ces images peuvent aussi aider à orienter l’équipe sur le visuel de la cinématique à réaliser.
« Il y a toujours quelque chose de nouveau à inventer »
Le quotidien du couple d’associés repose donc essentiellement sur la création graphique. Mais plutôt que de travailler sur un unique projet sur une longue période, Jessica et Bastien enchaînent les projets, qui ont chacun leur propre univers, surtout concernant les licences comme Call of Duty. Mais le studio a un style graphique bien défini pour ne pas s’éparpiller. « On a une pâte graphique bien définie, c’est aussi pour ça qu’on se fait remarquer ! On joue beaucoup sur la qualité des lumières et des couleurs. Mais pour certaines demandes, on doit s’adapter et faire quelques pirouettes pour correspondre au client. » A chaque projet sa nécessité d’adaptation, que ce soit en termes de style ou d’univers.
« On ne se lasse pas, car il y a toujours quelque chose à inventer ! Mais ça fait maintenant cinq ans qu’on saute de projet en projet et on veut tester l’autre penchant : travailler sur une production qui serait la nôtre. » En plus de son activité principale, Jessica travaille sur un jeu mobile depuis deux ans, qui ne sortirait pas avant le printemps 2019. Elle nourrit ce projet en lui donnant un style graphique propre à eux. Et le soir, quand elle décroche du travail, l’artiste continue à dessiner, mais de façon plus traditionnelle : elle réalise des illustrations miniatures en aquarelle. « Je fais de l’aquarelle pour mon plaisir personnel car j’ai mon personnage depuis mes onze ans, une petite souris, que je déguise dans des fanarts comme Nathan Drake ou Léon, du film éponyme. » Pour Jessica, c’est important de continuer à dessiner de façon traditionnelle. Elle échange aussi beaucoup avec les autres artistes de son domaine ; elle et Bastien ont d’ailleurs fondé l’Art Weekend, un festival bi-annuel dédié au digital painting qui rassemble une centaine d’artistes.
Jessica est aussi joueuse, mais à petite dose. « On passe plus de temps à créer des jeux vidéo qu’à y jouer ! Mais aujourd’hui, c’est demandé de savoir de quoi on parle. C’est utile de jouer pour voir ce qu’il se fait aujourd’hui, quelles sont les nouvelles techniques et styles graphiques, bref se mettre à la page. » Elle est néanmoins comblée en travaillant dans les domaines du jeu vidéo et du cinéma. L’entreprise aimerait d’ailleurs engager plus d’artistes chez Wardenlight Studios, pour étendre leur activité.
« On recrute au portflio : peu importent les diplômes, les années d’études ou l’expérience. »
Pour être elle-même intervenante dans certaines écoles de jeu vidéo, ces dernières font rêver Jessica : « si j’avais eu ces écoles, j’aurais sauté dedans à pieds joints. C’est ce que j’aurais rêvé d’avoir ! ». Mais quand il est question de recrutement, ce critère tombe. « On recrute au portfolio : peu importent les diplômes, les années d’étude ou l’expérience. » Ce qui est important pour Jessica, c’est l’inventivité et la créativité du candidat, mais aussi la qualité graphique des créations, notamment la maîtrise du painting : un trait débutant se différencie aisément d’un trait professionnel. Le second point important est la justesse dans l’anatomie des corps dessinés, qu’ils soient humains, mécaniques ou architecturaux. « Je pense vraiment que les écoles sont là pour assister et guider les étudiants dans l’apprentissage graphique, mais ce qu’on regarde, ce sont les travaux personnels du diplômé : ce qu’il dessine quand il rentre de l’école, du boulot ou le week-end, les images qui lui plaisent… » Exit les travaux d’école et les commissions : ce sont les créations personnelles qui les intéressent pour juger de la créativité.
« Un seul conseil pour les artistes aspirants : sortez-vous les doigts ! » Selon Jessica, c’est le travail qui fait tout. Le travail encadré, mais aussi et surtout la création personnelle. En revanche, elle ne met pas l’accent sur la polyvalence de l’artiste : elle préfère voir un artiste doué dans quelques domaines, plutôt qu’une personne moyenne partout, à savoir le dessin de personnages, de véhicules, de l’environnement, de textures etc. « Surtout, on veut voir que la personne est active, qu’elle ait un bon rythme de production et qu’elle est motivée par ce travail en-dehors de ce qu’il est obligé de faire ! »
Merci à Jessica de nous avoir accordés du temps ! Vous pouvez la retrouver sur son Instagram et son LinkedIn. Le site web de Wardenlight se trouve à cette adresse.