Moon est passionnée du jeu League of Legends. D’un divertissement, c’est devenu son métier. Après avoir été joueuse, elle est passée dans le coaching, d’abord de joueurs individuels sur Egg One School et Solary, puis d’équipes chez Bursaspor. En quoi consiste le travail de coach ? Comment accéder à cette profession ? Elle répond à nos questions.
« Je pense qu’en tant que coach, ce qui prime, c’est l’aspect humain. »
Les jeux vidéo ont toujours été une évidence pour Moon, même si c’est un « milieu assez masculin ». Baccalauréat en poche, elle choisit d’ailleurs une formation dans le digital, avec graphisme, marketing etc. Elle s’intéresse aux matières mettant en jeu le rapport humain plutôt que la technique… mais c’est l’esport qui est progressivement devenu une évidence pour elle. « J’ai vite compris qu’en tant que joueuse, il n’y avait pas vraiment de place pour moi. » Selon Moon, les places sont chères et ne sont accessibles qu’aux joueurs ayant le plus haut classement sur League of Legends : Challenger. « J’étais en master et je me faisais discrète. Il y a plein de petites équipes à ce niveau, mais après une phase de tests concluante, la question de mixité se posait et le manager recommençait à chercher quelqu’un d’autre pour le poste. »
Pourtant, le jeu lui plaît et elle cherche une alternative. « En 2015, j’ai récupéré une équipe de niveau Master en tant que coach et j’ai évolué avec eux pendant un an, alors qu’ils cherchaient une structure professionnelle. » L’équipe venait de se former et devait faire ses preuves pour obtenir des offres intéressantes. « On a travaillé ensemble tous les soirs et ça m’a permis d’évoluer, de savoir si ça me plaisait vraiment. » Spoiler : elle tombe amoureuse du métier et décide de s’y investir corps et âme. « Je pense qu’en tant que coach, ce qui prime, c’est l’aspect humain. Alors j’ai cherché à développer ma pédagogie en m’inscrivant sur Egg One School. »
La plateforme offre un catalogue de coaches au choix des joueurs, qui souhaitent s’améliorer individuellement pour monter dans le classement de leur jeu vidéo de prédilection. Moon découvre tout un panel de profils, avec des niveaux, des caractères et des âges différents pour chacun. « Il faut arriver à comprendre la personnalité du joueur avec qui on travaille, peu importe son niveau, car ce sera plus simple de construire son coaching autour de ces informations. » Elle obtient de bons retours de joueurs et dépasse les 1200 heures de coaching, mais tout s’accélère quand elle est recrutée pour coacher des joueurs de l’équipe Solary.
Son profil sur la plateforme de coaching individuel Egg One School.
Du coaching dans sa chambre à une gaming house en Turquie
Fin janvier, elle répond à une annonce de recherche de coach pour l’équipe en envoyant des travaux et sa candidature. Sur plus de 400 candidatures, elle fait partie des sélectionnées. « Quand il a répondu à ma candidature, on a très vite parlé du fait que j’étais une fille ; il m’a dit qu’il ne faisait absolument aucune distinction entre hommes et femmes pour le poste. » Elle s’est vu refusée sur plusieurs offres à cause du fait qu’elle était une femme, alors que les équipes étaient entièrement composées d’hommes. Quoiqu’il en soit, pour devenir coach, elle passe une phase de sélection sur plusieurs sujets. « Après avoir bossé d’arrache-pied, j’ai eu des bons retours… mais il y a eu des mouvements dans l’équipe Solary et Samchaka a annulé ses recherches. J’étais déçue, mais plus tard, il m’a proposé une autre mission de coaching : au lieu de coacher l’équipe, j’aiderais les joueurs sur leur niveau individuel. »
Et après plusieurs mois de coaching individuel, mi-juin, Samchaka l’embarque chez Bursaspor, un club esportif turc, en tant que coach. C’est là qu’elle découvre le métier en gaming house et à plein temps. Sur un mois, les deux coaches doivent relever l’équipe turque, qui joue dans la ligue régionale majeure. Une mission qui s’avère compliquée. Moon travaille de 10 heures à 4 heures du matin en moyenne, tous les jours. « Samchaka a dû beaucoup négocier pour m’amener, car ils ne voulaient pas d’une fille ; de mon côté, j’ai dû prouver que je pouvais assumer le fait de vivre et travailler avec que des garçons pendant un mois. » Moon veut relever le défi et elle parvient à être recrutée pour un mois de coaching intensif, aux côtés de Samchaka en tant que head coach, et avec un manager qui facilite la vie des joueurs.
Moon coache individuellement les joueurs de Solary.
« Le temps passe très vite en gaming house, c’est comme si tu étais enfermé dans un espace-temps différent ! »
« Les coaches encadrent tout ce qu’il se passe en jeu. À partir du moment où les coaches déterminent ce sur quoi ils vont travailler, ils se tournent vers les analystes qui gèrent les données cachées du jeu, comme les API de Riot Games, qu’ils nous expliquent et que l’on traite. » Ce travail n’est que le début de la mission des coaches. Des stratégies sont élaborées, mais elles ne sont pas toutes retenues : « C’est le travail caché du coach… on ne parle pas aux joueurs de tout ce que l’on fait. Nous devons leur présenter la finalité de notre réflexion, plutôt que toutes les informations que l’on a traitées, qui ne seraient pas exploitables pour eux. »
Concrètement, Moon passe la matinée à chercher des informations pour préparer une stratégie à travailler, pendant que les joueurs s’entraînent individuellement. La stratégie consiste à savoir, pour chaque joueur, quels champions jouer et comment. L’après-midi, les joueurs se réunissent en équipe et s’entraînent par des matches amicaux contre des équipes adverses. Le but est de mettre en place la stratégie élaborée sur la matinée. « Le temps passe très vite en gaming house, c’est comme si tu étais enfermé dans un espace-temps différent ! Tout va très vite, on travaille et on travaille encore. » Si ce rythme est valable pour la majorité de leurs journées en gaming house, il est différent les jours de matches. Dans ce cas, leur matinée est plus sportive et l’après-midi, l’équipe se rend dans le studio de Riot Games pour jouer. Sur place, Samchaka et Moon doivent laisser leurs joueurs faire le travail et ils ne peuvent que regarder les matches. « C’est là qu’on voit si notre travail de douze heures fonctionne… on s’assoit, on croit en nos joueurs et on espère que tout va bien se passer. »
Bursaspor est un club sportif en Turquie.
« Il faut être prêt à travailler beaucoup. »
Alors, que faut-il faire pour entrer dans le métier ? Pour ce qui est de Moon, ses études n’ont pas été déterminantes. « Pour être coach, je pense qu’il faut certaines aptitudes qui ne s’apprennent pas : une affinité avec le rapport humain, être tourné vers les autres. D’un autre côté, je pense que le fait de gérer une équipe, c’est une compétence qui se développe. » Selon Moon, comme pour beaucoup de domaines de l’esport, le coaching s’apprend en faisant. « Il faut être prêt à travailler beaucoup ; en Turquie, je travaille de 10 heures à 4h du matin avec, on va dire, une heure de pause. Je me lève, je mange et je dors League of Legends ! » Elle précise qu’il faut savoir gérer le stress et compartimenter sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Enfin, « il faut tout le temps se remettre en question car c’est la seule manière d’évoluer. Quand je regarde ce que je faisais en coaching il y a un an, je n’en reviens toujours pas d’en être arrivée là aujourd’hui ! »
Concernant le niveau de jeu, elle ne pense pas qu’un bon coach doit être au niveau d’un joueur professionnel. Elle-même a baissé de niveau, puisqu’elle n’a plus le temps de jouer. « En réalité, on apprend pas notre propre façon de jouer aux autres joueurs, car chacun a sa manière d’exploiter le jeu. Il y a des joueurs professionnels qui sont connus pour leurs mécaniques, d’autres pour leur vision de jeu. » Autrement dit, un bon joueur ne fait pas forcément un bon coach. « À l’inverse, si tu as un niveau moyen, tu dois absolument travailler à fond car tu ne peux pas arriver devant des joueurs sans avoir la connaissance derrière. Un bon joueur voit tout de suite si ce que tu dis a du sens ou non. » Cela a un effet à double tranchant ; pour Moon, c’est quelque chose qui l’a beaucoup aidée. « J’ai peur de ne pas être crédible en étant une fille, mais même quand je sens qu’il y a des doutes, les joueurs voient rapidement que je suis là au mérite, que c’est mon travail. » D’ailleurs, les bons retours des joueurs sont un moteur essentiel pour la motiver à continuer sur cette voie. « Ce qui me pousse, c’est cette confiance qu’on t’accorde. La personne peut croire que tu vas l’aider, mais le mieux c’est quand elle voit que ça fonctionne dans les faits parce que tu lui as donné les cartes pour réussir. »
Merci à Moon de nous avoir accordés du temps. Vous pouvez retrouver son actualité sur son Twitter.
Eva ‘SaltySwan’ Martinello